Des grandes manœuvres de la ploutocratie
L’affaire ukrainenne a fait ressurgir avec force occurrences un terme qui trouve depuis un certain temps toute la faveur de la presse, celui d’oligarchie : les "oligarques" seraient à présent les grands manitous, les faiseurs d’Histoire, à l’instar des rois et aristocrates.
Voilà bien la presse occidentale, sans "opinion" et toujours aussi putassière vis à vis de ses maîtres, qu’elle porte au pinacle pour autant qu’ils la rémunère grassement.
Une seule illustration devrait mettre en faillite cette aberration de l’esprit, celle d’une réification toujours plus poussée du vivant devenu matière première de l’organisation industrielle spectaculaire marchande.
Rien là de bien nouveau depuis que l’industrie s’est emparée de la destinée du monde. Mais quand cette instrumentalisation devait encore, il y a quelques années, avancer masquée sous peine d’apparaître comme un scandale et une terrible atteinte la vie même, elle se présente désormais comme un “progrès” de la technologie et, quant à faire, un sauvetage même du vivant qu’elle asservit(1).
C’est donc l’asservissement qui est désormais un progrès et le lieu même du sauvetage du vivant quand celui-ci, mis à mal par l’industrie même, est en passe de disparaître. Au comble du cynisme, donc, et paraphrasant l’Orwell de 1984, l’organisation industrielle spectaculaire marchande énonce sans ambages, à la faveur de ses derniers développements, que "la liberté c’est la réification".
Que pourraient bien venir faire ici les oligarques sinon comme cheveux sur la soupe, s’en alimentant, mais sans autres effets sur les logiques à l’œuvre qui sont, de fait, les logiques de la plus grande pente de la création de plus-value, quand la valeur se dégrade toujours plus avec la négation du vivant.
Ils ne sont nullement les donneurs d'ordre que l’on voudrait faire paraître puissants - comme s'il y avait encore un pilote dans l’avion -, mais simples parasites, punaises des hauts fourneaux, tentant, autant que faire se peut - que leur en laissent le loisir leurs petits concurrents à la manœuvre - de prendre leur dîme au passage pour arroser la multitude de petits saloupiaux qui vivent à l'abri de l’aile qu’ils ont contribuée à faire exister.
On a pu parler, à une certaine époque, à propos des gestionnaires à la manouvre dans les champs du pouvoir, de technocratie, qui est aussi une figure de l'oligarchie, mais sans pour autant aller jusqu'à désigner par le terme d'"oligarques", les technocrates dont on savait le pouvoir, de fait, limité à celui de gestionnaire du Kapital.
La figure des grands capitaines de l'industrie du XIXè - associée, un moment, à celle de démiurge -, présiderait en somme à celle de l'oligarque qui en serait, en quelque sorte, la résurgence par une sorte de romantisme (!) nostalgique répugnant à désigner le dit oligarque par la réalité de ses manières et méthodes, un ploutocrate - autant dire un parvenu - et l'oligarchie, pouvoir séparée d’une minorité, une ploutocratie, pouvoir conféré par la seule possession de moyens financiers, voire de leur simple apparence, comme de plus en plus d’escroqueries le laissent entrevoir.
“Le spectacle est le capital à un tel degré d’acumulation qu’il devient image” (Debord, La société du spectacle). Il est un rapport social tel que sa simple apparence produit les effets escomptés, y compris sur les vermifuges de la presse aux ordres chargés de produire la purge qu’ils vont faire avaler. L’acte de propriété vaut possession, comme partout cela est manifesté dans les rapports de force y compris internationaux.
Ainsi aura-t-il suffi aux sbires de la prétendue “révolution” ukrainienne de promulguer un acte de propriété pour que celui-ci fasse droit(2), dans la plus pure continuité d’une prétendue démocratie qui n’en a jamais été une, mais simple scène sur laquelle défilent, à la vitesse de la circulation de la monnaie, des groupes de pression dont les actes n’ont d’autre finalité que l’accaparement de la place au soleil au détriment de tous les autres.
Pour autant, leur défilement ne vaut en rien fin du système. C’est même bien plutôt à la mesure de ce défilement que vaut le système, puisque chacune des parties, bien que concurrentes, reste solidaire de toutes les autres quant à la pérennité de l’ensemble qui les fait vivre.
De ce "système" fait, bien évidemment, partie le “peuple”, son moteur même, dindon de la farce, qui en est le prolétaire obligé, troupe de choc à la manœuvre quand il s’agit de remplacer le décor, et victime expiatoire qui doit glorifier ses martyrs sur le sacrifice desquels se constitue le nouveau pouvoir. Une mécanique somme toute bien rodée et qui justifie que l’on parle avec autant de détermination d’”oligarques”, puisqu’il s’agit de personnifier ce qui, faute de quoi, se dévoilerait comme système.
Comme l’arbre dissimule la forêt, l’oligarque dissimule ce qui le fait naître et croître. De quoi naît l’oligarque, ou dit tel, sinon un système de clans, lesquels clans se constituent autour d’un magot à se partager et dont l’oligarque est en quelque sorte la garantie visible de l’irrigation du clan. Ce qui irrigue le clan, qui le détermine et dont il est le vecteur obligé, c’est l’argent. Un système maffieux qui ne s'énonce pas (encore) tel, mais qui a, entre autres conséquences, celle de conserver le système, en dépit de ses changements de figurants, conservation dont participe le peuple asservi à ses "protecteurs". Ne doit-on pas, décidément, assister aux “révoltes” d’esclaves défendant la perpétuation de ce qui les opprime, devant choisir entre le pire et le terrible ?(3)
Évidemment, la chose ne saurait se limiter à la seule scène ukrainienne mais recouvre l’ensemble des aires artificiellement découpées au gré des intérêts de la propagation du capital et de sa domination sans partage.
A titre d’illustration anecdotique, ne voit-on pas, en France, dans le marécage de l’audiovisuel censé remplacer “le monopole d’État” gaullien que fut l’ORTF, de bien étranges mouvements de troupe dont les ressorts restent occultes : très récemment, ce fut la nomination à la tête de Radio France - excusez du peu - d’un jeune homme de 37 ans.(4)
La valeur, décidément, attend de moins en moins pour s’accomplir sur cetaines têtes de gondole. On y va vite en la besogne, puisque, au final, il n’y a plus guère de besogne. Tout n’est plus qu’apparence et, pour le reste, circuits automatiques d’accomplissement des logiques à l’œuvre ; il suffit simplement que s’accomplisse dans toutes ses conséquences et avec toute la fureur requise - sans plus de précautions, donc, et en tous domaines, sans plus laisser quelque parcelle en friche - la logique impériale du capital, celle qui ne saurait avoir cure, dans le même temps, des conséquences mêmes d’une telle fureur sans discernement.
C’est ainsi, entre autres exemples de cette "économie" - stratégie de la dilapidation destinée à provoquer la consommation -, que pas moins de 12 000 tonnes de poisson sont chaque année, en France, jetées dans les poubelles du fait de leur non-distribution.
On imagine assez ce qu’il aura fallu de logistique pour transporter de telles quantités des quatre coins de la planète, avec ce que cela signifie de pollutions maritimes, côtières et autres gaspillages, peurs, souffrances, pour qu’elles finissent dans une poubelle, au mépris du vivant, dont elles signifient ainsi la disparition, et ce alors que l’on parle de raréfaction de la faune maritime, au mépris des millions de gens affamés et que leur exportation, comme leur importation, auront encore davantage affamées.
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NOTES, SOURCES & LIENS
1 - “cultiver de la viande en laboratoire (@culturebeef). Le procédé est simple, bien que long. Les chercheurs de l'université de Maastricht ont récupéré un petit morceau de muscle de vache pour en extraire des cellules souches et les cultiver. Une cellule souche produit 10 puissances 14 cellules... Une cellule permet donc d'économiser environ 300 vaches. Les cellules s'auto-organisent en myotubes, qui s'attachent les uns aux autres en grandissants. Suffit alors de les récolter pour obtenir un tissu de muscle... Il faut juste en produire beaucoup, le mélanger à du gras, pour améliorer son goût et sa texture... En août 2013, les chercheurs de l'université de Maastricht ont prouvé qu'on pouvait cultiver un steak en laboratoire... et le manger. “
http://internetactu.blog.lemonde.fr/2014/02/28/le-vivant-nouveau-materiel-de-linnovation/
2 - voir artticle suivant "Des grandes manœuvres de la ploutocratie (2)"
3 - “Le président ukrainien de transition, Olexandre Tourtchinov, a annoncé dimanche 2 mars la fermeture de l'espace aérien du pays à tout appareil non civil, et a estimé que les actions du chef de l'Etat russe, Vladimir Poutine, s'apparentaient à une déclaration de guerre : « Toute tentative d'attaquer des installations militaires sera de fait une agression armée directe contre notre pays, et la responsabilité en sera imputée à l'armée et aux dirigeants russess. »
Voilà un décret qui sera bien pratique pour faciliter les provocations si besoin s'en faisait sentir ...
“Andreï Paroubï, qui coordonne les actions des principales agences chargées de la sécurité, a en outre jugé vital de s'assurer que l'armée soit prête au combat aussi tôt que possible. Il a ajouté que le ministère des affaires étrangères s'était vu demander de solliciter l'aide dAnders Fogh Rasmussenes Etats-Unis et du Royaume-Uni pour garantir la sécurité de l'Ukraine.”
Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l'OTAN affirme que la Russie « menace la paix et la sécurité en Europe » et doit « cesser ses activités militaires et ses menaces » sur l'Ukraine. « Nous allons discuter des implications pour la paix et la sécurité en Europe, et pour les relations entre l'OTAN et la Russie », a ajouté M. Rasmussen, qui s'exprimait avant une réunion des ambassadeurs des 28 pays membres de l'Alliance atlantique sur la crise en Ukraine.
Après l'avoir évoqué dans la matinée, la France a décidé dimanche de « suspendre » sa participation aux réunions préparatoires du G8 de Sotchi prévu en juin. Cette décision avait été « entérinée » lors d'une « réunion de crise » à l'Elysée entre François Hollande et Laurent Fabius. Un peu plus tard dans la journée, la diplomatie britannqiues a indiqué qu'elle suspendait également sa participation.
http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/03/02/l-ukraine-rappelle-l-ensemble-de-ses-reservistes_4376228_3214.html
À ce spectacle des grandes manœuvres des marchands de canons et de la Sainte Alliance ploutocratique, vient s'adosser la cohorte de ses souteneurs, agents divers du salariat de la soutenance et petits prêtres du Veau d'or. C'est ainsi qu'est présenté sur le site du monde.fr dans la rubrique "Idées" (si ! si !), celle de l'idéologue de service, M. Bruno Tertrais, "Maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, en relations internationales, questions nucléaires, relations transatlantiques et sécurité au Moyen-Orient et en Asie" (voilà qui devrait en imposer), lequel "Maître" nous rappelle que : la Guerre froide est terminée, mais que M. Poutine est un paranoïaque qui aurait peur de l'OTAN alors même que cette organisation n'a plus aucune espèce de potentiel agressif ... No comment !
Bien évidemment, pour accréditer de telles sornettes, le monde. fr aura, au passage, omis de signaler les nombreux états de service du dit "maître" en mystification, qui aura été, entre autres :
. directeur de la Commission des affaires civiles à Assemblée de l'OTAN ;
. membre du cercle de réflexion du Cercle de l'Oratoire, désigné par le quotidien Libération sous le terme de néoconservateur. Il participe également à la revue pro-américaine Le Meilleur des mondes ;
. délégué au secrétariat international du Parti socialiste et est membre du Conseil d'orientation de la Fondation Terra Nova ....
Ainsi nous fait-il savoir : "L’image de la nouvelle guerre froide est dangereuse : accréditer l’idée selon laquelle nous revivons une époque révolue, c’est entrer dans le jeu de M. Poutine", selon lequel "la présence du sénateur John McCain sur la place Maïdan, en décembre 2013, serait la preuve d’un sinistre complot américain." "En 2014, il semble plutôt que ce soit la Russie qui ne supporte pas d’être privée d’ennemi."
http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/02/25/la-crise-en-ukraine-n-a-rien-a-voir-avec-une-nouvelle-guerre-froide_4373036_3232.html
3 - http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/02/28/mathieu-gallet-une-ambition-a-la-tete-de-radio-france_4375463_3234.html