Du fascisme, selon K. Polanyi

Publié le par Pim

Ci-dessous, un extrait du chapitre 20 de “La Grande Transformation” de K. Polanyi, relatif au point de vue de cet économiste sur le fascisme :

“Si jamais mouvement politique répondit aux besoins d’une situation objective, au lieu d’être la conséquence de causes fortuites, c’est bien le fascisme. En même temps, le caractère destructeur de la solution fasciste était évident. Elle proposait une manière d’échapper à une situation institutionnelle sans issue qui était, pour l’essentiel, la même dans un grand nombre de pays, et pourtant, essayer ce remède, c’était répandre partout une maladie mortelle. Ainsi périssent les civilisations.

On peut décrire la solution fasciste à l’impasse où s’était mis le capitalisme libéral comme une réforme de l’économie de marché réalisée au prix de l’extirpation de toutes les institutions démocratiques, à la fois dans le domaine des relations industrielles et dans le domaine politique. Le système éconmoique qui risquait de se rompre devait reprendre vie, tandis que les populations seraient elles-mêmes soumises à une rééducation destinée à dénaturer l’individu et à le rendre incapable de fonctionner comme unité responsable du corps politique. Cette rééducation, comportant les dogmes d’une religion politique qui rejetait l’idée de fraternité humaine sous toutes ses formes, fut réalisée pa un acte de conversion de masse, imposée aux récalcitrants par des méthodes scientifiques de torture.

L’apparition d’un mouvement de ce genre dans les pays industriels du globe, et même dans un certain nombre de pays peu industrialisés n’aurait jamais dû être attribuée à des causes locales, à des mentalités nationales ou à des terrains historiques, comme les contemporains l’ont fait avec tant de constance. Le fascisme avait aussi peu à faire avec la Grande Guerre qu’avec le traité de Versailles, avec le militarisme junker qu’avec le tempérament italien. Le mouvement fit son apparition dans des pays vaincus comme la Bulgarie et dans des pays victorieux comme la Yougoslavie ; dans des pays à tempérament nordique comme la Finlande et la Norvège et dans des pays à tempérament méridional comme l’Italie et l’Espagne ; dans des pays de race aryenne comme l’Angleterre, l’Irlande ou la Belgique et de race non aryenne comme le Japon, la Hongrie ou la Palestine ; dans ds pays de tradition catholique comme le Portugal et dans des pays protestants comme la Hollande ; dans des communautés de style militaire comme la Prusse et de style civil comme l’Autriche ; dans d’anciennes cultures comme la France et de nouvelles comme les États-Unis et les pays d’Amérique latine. À vrai dire, il n’existait aucun type de terrain - de tradition religieuse, culturelle ou nationale - qui rendit un pays invulnérable au fascisme, une fois réunies les conditions de son apparition.

En outre, il était frappant de voir combien il y avait peu de rapport entre sa force matérielle et son efficacité politique. le terme ême de “mouvement” est trompeur, puisqu’il implique une certaine forme d’enrôlement ou de participation personnelle en grand nombre. S’il y avait un trait caractéristique du fascisme, c’est qu’il ne dépendait pas de ce genre de manifestations populaires. Bien qu’il eût d’habitude pour but d’être suivi par les masses, ce n’était pas le nombre de ses adhérents qui attestait sa force potentielle, mais l’influence des personnes haut placées dont les dirigeants fascistes avaient acqui les bonnes grâces : ils pouvaient compter sur  leur influence sur la communauté pour les protéger contre les conséquences d’une révolte avortée, ce qui écartait les risques de révolution.

Un pays approchant de la phase fasciste présentait des symptômes parmi lesquels l’existence d’un mouvement proprement fasciste n’était pas nécessaire. On y apercevait des signes au moins aussi importants : la diffusion de philosophies irrationalistes, d’une esthétique raciale, d’une démagogie anticapitaliste, d’opinions hétérodoxes sur la monnaie, de critiques du systèmes des partis, d’un dénigrement général du “régime” quel que fût le nom donné à l’organisation démocratique existante. (...) Il n’y eut dans aucun cas de véritable révolution contre l’autorité constituée ; la tactique fasciste était invariablement celle d’un simulacre de rébellion arrangée avec l’accord tacite des autorités, qui prétendaient avoir été débordées par la force. Telles sont les grandes lignes d’un tableau complexe (...)

Le fascisme , comme le socialisme, était enraciné dans une société de marché qui refusait de fonctionner. Il couvrait donc toute la planète, il était mondial dans sa portée, universel dans on application ; ses conséquences transcendèrent la sphère économique  et engendrèrent une espèce nettement sociale de transformation générale."

Publié dans De la Guerre

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