DE LA BARBARIE, DE SES MÉTHODES, DE SES ENNEMIS, ET AUTRES CIRCONSTANCES annexes

Publié le par Pim

Le site du Jura libertaire nous rapporte l’histoire d’un singe de zoo qui, en prévision de ses importuns visiteurs, amassait des munitions qu’il constituait lui-même, afin de leur causer du pays, de l’animalité et des joies de servir de cible aux regards d’imbéciles venus constater combien il était préférable de se trouver du bon coté de la barrière.
Résultat des courses : l’animal, qui, décidément, doit en rester un - sinon il n’y aurait plus de frontières et que ferait l’homme à ne plus pouvoir exploiter la curiosité insane des visiteurs  ? -, l’animal, donc,  un peu trop hégelien au goût de ses géoliers et autres tiroir-caisses, s’est vu retirer ses bourses.
Ainsi ne pourra-t-il plus spéculer, l’esprit doit rester d’un seul coté et vive la civilisation qui va chercher dans les étoiles des espèces intelligentes afin d’être bien certaine qu’elle est unique en son genre pour ce qui est de sa bêtise la plus meurtrière ...

La dite civilisation réfère à la cité, monde policé par des règles de comportement à l’intérieur de son échiquier.
Les cités se font la guerre, ne serait-ce que pour bien prouver aux autres que chacune détient la vérité de la civilisation.
Et la guerre, comme dirait l’autre, Hegel et Marx en tête, n’est-elle pas l’“accélérateur de l'Histoire”, le vecteur de la civilisation, porteuse d’un ordre contre le chaos originel auquel est assimilée la barbarie de l’ennemi ?
On sait peu de choses sur l’origine véritable du mot, si ce n’est que les Grecs, en désignant ainsi l’autre - celui qui n’était pas Grec -, entendaient s’en démarquer et prétendre ainsi qu’ils étaient, eux, du bon coté, celui de la civilisation.
"Selon Aristote, il y a deux sortes d'êtres humains : ceux qui croupissent dans des peuplades amorphes et sauvages ou forment d'immenses troupeaux dans des monarchies aux proportions monstrueuses, et ceux qui sont harmonieusement associés en cités ; les uns sont nés pour l"esclavage, afin de permettre aux autresde se donner une organisation supérieure. (...) Quand les  barbares  ne connaissent que la servitude (...), l'homme grec répond à la définition qu'en ont donnée ses philosophes, dans la plénitude du terme, un être politique." (Gustave Glotz, La cité grecque Paris, 1928).
Une chanson guère différente, il y a quelque vingt-cinq siècles, de celle que l'on nous chante, depuis six décennies, opposant "démocraties" et "dictatures", comme si rien n'avait changé d'une perfection figée dans le marbre, à sa réalité près quand on considère que les cités grecques étaient délibéremment de dimensions réduites, afin que chacun se connaisse dans sa filiation.

Lorsque s’est effondré, de l’intérieur, l’empire soviétique, le barbare, après qu'eût été vaincu le nazisme - ce retour, au cœur de la modernité, de la conception antique de la civilisation contre les esclaves et les sous-hommes -, un certain diplomate russe en aurait prévenu : "nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi".

Qu’à cela ne tienne. Les canons de la Guerre froide  tournèrent aussiitôt d’un quart de tour vers le sud, et surgirent talibans et autres nébuleuses al-qaïdesques de la Guerre des étoiles comme direction désignée à la civilisation, ses nouveaux barbares, pour se rassurer elle-même, ceux-là mêmes, entre parenthèses, qui, largement soutenus militairement, logistiquement, par la dite civilisation, avaient contribué à l’effondrement de l’empire stalinien englué en Afghanistan.

Et c’est ainsi que, quelques centaines de milliers de morts plus loin, quelques éjaculations de tortionnaires devant leurs victimes ensanglantées plus loin, voici, surfant à la surface du spectacle, porté par des média-à-la-botte qui, demain, le descendront à la première occasion qu'il aura eue de déplaire aux intérêts en place, un président des états-unis qui, englué dans le même Afghanistan, vient faire amende honorable pour la suite à donner à la drôle de pax americana et indiquer aux musulmans, aux croyants donc (les mécréants, qu'ils aillent se faire voir, un président ne s'adresse qu'aux gens raisonnables) : “Mais non, voyons ! vous avez mal compris ! l’empire n’est pas du tout en guerre contre vous ! c’était pour rire qu’il a rasé vos villes et torturé vos proches ! il a fait semblant, juste pour se rassurer, juste pour faire un peu mumuse avec ses  joujous !”

Un véritable pélérinage de repentance sur les "erreurs" (il est interdit de lire terreur) de l'Occident très chrétien, d’ailleurs : après les musulmans, devenus soudains des vecteurs de la Renaissance européenne, et quelle renaissance, voici M. Obama arrivant à Dresde, rasée par les bombes de l'humanisme anglo-américain, et, comme remontant le temps d'une histoire de bruit et de fureur, avant que d'aller revoir sa blonde en Normandie, le salut au camp de Buchenwald, incontournable pour le Roi du monde, puisque cet épisode semble décidément fondateur de notre civilisation chérie qui a triomphé du mal absolu.
Lequel, rappelons-le ici, au cas où cela aurait échappé à quelqu'un de particulièrement distrait sur ce qu'il y a lieu de retenir de la marche du monde, a assassiné méthodiquement, scientifiquement, six millions de juifs, dit-on. Macabre éclairage, pour sordide captation de l'Histoire, qui permet de faire disparaître à la trappe les quelques dix fois plus passés à la moulinette des panzers et autres délicatesses civilisées. Mais, sans doute, ici encore, ne s'agissait-il que de méthodes barbares, non pensées, bien que délibérées, et donc insignifiantes. Et l'on ne dira donc RIEN de ces morts là - puisque, décidément, dans la petite tête de ce grand homme que fut Churchill, entre autres, il fallait bien que ces civils allemands fussent coupables de ne pas renverser Hitler -, non plus que, - puisqu'il n'entre pas dans la stratégie présente du président des États-unis de pousser jusqu'au Japon sa repentance -,  des meurtres de masse perpétrés par deux fois par la haute et bienfaisante et libératrice et ... civilisation états-unienne, à Hiroshima et Nagasaki, qui  allièrent au caractère d'expérience scientifique sur cobayes humains (bien qu'il est vrai, seulement japonais), celui d'une menace de génocide à l'encontre moins du Japon, déjà à genoux, que des soviétiques s'avançant dangeureusement en Europe de l'Ouest ? Ces morts là, il est vrai, n’avaient pas alors l’insigne chance, si l’on peut dire, d’être juifs, ce qui permet à ces derniers d’accéder à l’Histoire, Ceux-ci nous en sont d’ailleurs infiniment reconnaissants, n'en doutons pas, sacrifiés (sur la commande de quel grand-prêtre, vraiment ?) pour, nous serine-t-on, “que ça ne recommence jamais.”

On y croit très fort, et l’on doit d’ailleurs signaler, comme une malencontreuse erreur de script sans doute, qu’il y a une sorte de dégradation en la chose : alors que le frontispice des camps nazis avait quand même le respect d’honorer les entrants d’une sorte de morale - i"Arbeit macht frei !" n'était-il pas l’espoir en l’avenir de la civilisation ?-, il semble que le camp de Guantanamo n’ait pas eu ce genre de prévenance. Serait-ce que cette civilisation, en sa nouvelle mouture, n’a plus de message d’espoir à délivrer quant à l’avenir, auquel elle ne croit plus elle-même, non plus qu' en ses vertus régénératrices ?
À moins qu'il ne s'agisse là que d'un manque de respect envers ses “combattants ennemis”, qui n’ont pas même le statut de prisonniers de guerre, des sortes de sous-hommes, en un mot des barbares.

Quant aux centres de rétention - comme bien dit cela est - qui partout fleurissent aux frontières de l’Europe, au point qu’un esprit chagrin serait presque tenté de faire de ce collier une analogie avec le tristement célèbre Rideau de fer qui protégeait la civilisation de la barbarie, on pourrait imaginer qu’ils sont en effet le symbole de cette tendance qu’aurait l’Europe, si en peine, nous dit-on, de définir ses frontières et son âme, comme une tentative désespérée de se définir l’une et l’autre par un repoussoir, le “barbare”, celui dont on ne veut plus après être allé le chercher chez lui, l’avoir conduit en esclavage dans ses exploitations pour constituer la richesse de la fière Europe, une richesse que résolument, les armes à la main, signifie-t-elle ainsi,  elle ne partagera pas.

Mais l’humanisme, celui de la dite Renaissance, est néanmoins son fondement, n’en doutons pas. C'est comme en toutes choses : l’humanisme, les droits de l’homme, la démomachin et tutti quanti, il faut les mériter, tout le monde ne peut y avoir droit, il y a les élus et puis il y a les autres, le tout-venant, les anonymes, les moins que rien, les barbares, les undermenshen. Faut savoir vivre quand même !...

C'est-à-dire, plus explicitement, qu'il faut savoir ne pas vivre dans le jeu dit civilisé du faux-semblant. Cette société, depuis son acte de naissance - aux alentours de la Renaissance et de son prétendu retour aux sources de l'antiquité grecquo-latine mâtiné de puanteur chrétienne en proie aux convoitises émergeant des découvertes d'un monde nouveau  -, s'est constituée dans sa séparation du et sa lutte contre le vivant et ses débordements c'est-à-dire contre sa forme la plus évoluée, et donc la plus incontrôlable, l'homme, considéré soudain comme objet, sorte d'animal-machine dont la mécanique devait être démontée pour livrer les secrets de son fonctionnement, son pur esprit étant, quant à lui, l'objet d'une attention séparée. Cette nouvelle gestion de l'humain est aussi bien une nouvelle façon de considérer le point de vue de la domination, qu'a su traduire Machiavel à l'attention du Prince de la Cité florentine.
Malgré ses prétentions à cet égard, la Renaissance se situe donc à l'inverse de toute la philosophie antique qui n'a jamais considéré l'homme en dehors de sa réalité ; le sens même de la philosophie était d'améliorer le sort de l'homme, non de se saisir de l'homme comme chose en-soi.
La médecine, à partir de la Renaissance, le traitement séparé de l'humain considéré comme un corps, occupe la place toujours enviée de iaboratoire avancé du tronçonnage de l'homme, dans la poursuite de son instrumentalisation, de la réification dont le régime nazi ne fut que la prémisse.

Cette époque, notre époque, est en passe de parvenir à cet anéantissement, déjà bien avancé. En tout cas, en mesure de l'accomplir dans ses dernières conséquences, avec notre complaisance et aveuglement à la nature de la présente servitude qui a commencé de s'en prendre à la réalité même de l'humain.

Publié dans De la Guerre

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