De la confusion (3)

Publié le par Pim

Sur son site(1), JP. Voyer continue de s'en prendre aux expressions reprises aux économistes par Marx pour les critiquer de "valeur d'usage" et "valeur d'échange".

Pour ce faire, le voici à faire appel à Paul Jorion, que voici associé à ... Aristote et Hegel, !... rien de moins.
Il est vrai que pour descendre Marx, il ne fallait pas moins d’un Jorion, lequel a travaillé "dans le secteur du crédit à la consommation en tant qu’expert dans le calcul du prix et la validation des modèles financiers de 1990 à 2007 jusqu'à la faillite de son employeur, la banque Countrywide Financial". Aux premières loges, il peut, sans risque de se tromper,  annoncer "la crise des subprimes qui se révèlera au grand public effectivement quelques semaines plus tard", (Wikipédia)

 

Un de nos articles, “De l’argent”, faisait état de cette volonté de M. Voyer de se démarquer de Marx sur une question nous paraissant pourtant bien insignifiante, celle de la dénomination par Marx de l’argent comme “équivalent général”.

Voici quelques extraits de ce passage en son article intitulé "Préambule basé sur une remarque de Jorion - Usage propre et usage général", :

Aristote, Hegel et Jorion règlent leur compte aux expressions stupides “valeur d’usage” et “valeur d‘échange”, triste héritage de Marx, Smith & Wesson.
“(...) changer, acheter, vendre une chose est un usage (une manière de l‘utiliser) comme un autre."

1 - M. Ripley s'amuse ; il joue de la polysémie. Très abusant en effet.

La vérité sort -elle de l'ambiguité ? L’usage, en l’occurrence, n’est pas l’utilisation, qui consiste à user d’un objet pour répondre à un besoin, mais la pratique, l’us, et en l’occurrence l’habitus d’une société marchande, dont M. Voyer nous fait ici avaler la parfaite normalité quand il assimile l’usage domestique d’un objet et la pratique des marchands consistant non pas à en user - les marchands n’ont rien à faire de cet objet, si ce n’est qu’il peut leur rapporter - mais plus précisément à ne pas en user, à ne pas l’user, à s’en débarrasser.
Première confusion de M. Voyer, donc, mais confusion qu’on ne saurait imputer à un esprit fatigué, mais plutôt intentionnelle, puisqu’elle va alimenter tout son argumentaire contre Marx.
C'est ainsi que le voici à valider les termes de Jorion d'“usage propre” et “usage d’échange”, censés donc se substituer aux termes marxiens de "valeur d'usage" et "valeur d'échange", c'est-à-dire celui de valeur par celui d'usage.

Polanyi convoqué - économiste du libéralisme ; des pointures, décidément - voici donc entériné le monde marchand dont la caractéristique est que “l’usage général” ("l’usage d’échange”) est la vente de tout ce qui est produit.

Conforté sur cette position entérinée d'une pratique généralisée caractérisant le système marchand, M. Voyer en vient à rabattre la “valeur d’échange” marxienne sur la seule utilité. Il lui apparaît, dès lors plausible d’en conclure que “la vente, l’achat, sont aussi des usages fort utiles”.

Il est singulier de parler d'usage sans même évoquer l'usager. QUI est donc ce pratiquant assidu de “la vente (et de) l’achat" ? À quels besoins répondent donc ces usages ? Et sont-ce les MÊMES usages selon les différents usagers ?

M. Voyer ne veut rien considérer de ces questions. L'usage est l'usage. Point. Que ce ne soit pas le même usage dont il est question n'intéresse en rien son argumentaire mené tambour battant.

Il est indéniable que chacun de nous est amené à manipuler l'argent, à l'utiliser, donc. Pour autant, de tels us sont "utiles" aux seuls marchands qui les pratiquent pour leur "usage propre" (si l'on peut dire). Certes, nous louons, moyennant pesetas, notre temps, histoire d'acheter le nécessaire au renouvellement du bail. Mais est-ce le même usage que celui qui, délibérément, achète et vend pour constituer le capital ?

Le glissement sémantique de la notion de valeur, attachée à l'acte marchand dont l'argent est le moyen terme, à celui d'usage, nous semble neutraliser le caractère problématique de ce rapport social ; un rapport de forces quand, d'un coté se trouvent ceux qui doivent sans cesse se demander où trouver l'argent pour figurer dans ce rapport de forces obligé, et de l'autre ceux qui cherchent à faire en sorte qu'ait lieu ce rapport de forces qui va les doter en capital.


2 - Poursuivant dans la même veine, il écrit : “Or il est une chose dont cet usage général est l’usage propre? Cette chose c’est l’argent. L’usage propre et l’usage général se confondent dans cette chose particulière.”

M. Voyer en vient donc à valider que le seul usage de l’argent est celui de servir à la circulation des marchandises. L'usage de l'argent est de constituer le capital - un concept marxien.
C’est là la même malheureuse confusion que commet, ici encore, M. Voyer, de laisser supposer que cet usage est celui de la société.

Faire de l'argent est sans aucun doute la pratique de ceux qui en ont fait leur métier, leur vie même, attachés qu'ils sont au Capital. Pour ce qui est de l'usage général, celui d'une société prise dans les filets de l'échange généralisé, il se résoud à "gagner sa vie", c'est-à-dire payer le droit de survivre. Ce n'est pas exactement le même usage de l'argent. même si cette activité génère en effet de l'argent, celui-ci n'est pas, à proprement parler la finalité de ceux qui en usent, contraints qu'ils sont de la faire.
Il y a lieu de ne pas confondre l’usage propre de l’argent - qui est de s’accumuler - et celui de son usage général, qui est en effet de faire circuler les marchandises par son introduction dans le circuit de l’achat et de la vente.  

Quand l’usage propre de l’argent est de l’accumuler pour lui-même, pour l’illusion de puissance qu’il procure, son usage général est de le dissiper, de s’en séparer pour le traduire en objets d'usage. L'immense majorité n'en a rien à foutre de l'argent. L'immense majorité est la chose de l'argent, possédée par lui.

 

3 - “L’argent est une institution”, nous rappelle-t-il. Sans aucun doute. Il oublie de nous préciser : une institution instituant le pouvoir dont il est la médiation.

Cela pour nous dire qu’il ne saurait avoir de l’effet dans le désert.
Nous ne savons pas de quel désert il parle, peut-être de celui qui existe dans Bouvart et Pécuchet. Depuis, le monde moderne, la société marchande - qui a transformé le monde en désert -, est le monde où l’argent est censé désaltérer jusqu’aux Bédouins. Sinon, pourquoi feraient-ils transiter des marchandises hautement vendables par le désert ? Pourquoi les Bédouins - et nous parlions, dans notre article, des Éthiopiens - auraient-ils besoin d’argent ? Non pas pour “commander” à une terrasse de café parisienne, mais parce qu’il n’est plus de lieu où l’esclavage à l’abstraction ne soit la règle.
Quant à commander une bière, encore faut-il
a/ apprécier cet infect breuvage ;
b/ avoir la puissance de commander ;
c/ avoir le goût de commander.
Qu'en conclure ? Que selon M. Voyer, il n'y a aucun lieu de se morfondre : l'argent existe, il n'y a Ka ...il  suffit qu’une institution existe pour qu'elle soit respectable, y compris l’institution argent : il suffit de "commander" ... No problem .


Pour autant, si, continue-t-il,  “L’argent s’échange avec chaque marchandise (c’est-à-dire toutes indifféremment)”,
c’est donc qu’IL VAUT chaque marchandise.

Mais, rappelle-t-il,  “on ne peut ni le boire, ni le manger, etc, ce qu’on peut faire avec certaines marchandises.
Voilà bien la contradiction de M. Voyer qui, se rappelant du désert qu’il dut, quand même, traverser, en vient à déplorer que l’argent ne puisse pas tout, alors même qu’il est, selon ses propres termes, omnipotent.
En AUCUN CAS - sinon pour le gogo qui croit à son mensonge - la marchandise ne saurait être rabattue sur sa valeur d’usage. Le prétendre est soit un mensonge, soit une naïveté dont nous ne saurions soupçonner M. Voyer : on ne peut “boire” une marchandise, sinon à s’exposer à une pénalité (une marchandise doit être payée, après quoi peu importe son usage, l’objet ayant perdu absolument tout intérêt, au sens propre comme figuré) ; on boit éventuellement ce qui a qui a servi de prétexte à la transaction, et se déguisait auparavant sous la forme marchandise, mais là aussi, et de plus en plus, on s’expose à l’empoisonnement, d’avoir confondu l’idée de la chose, représentée par son image, et la chose elle-même.
D’ailleurs après avoir bu une marchandise, c’est-à-dire de l’argent, on a toujours aussi soif et l’on doit à nouveau boire.

Comme chacun le sait, désormais, l'industrie agro-alimentaire est la première fournisseuse de l'industrie pharmaceutique.

 

Reprenant son raisonnement par l’autre bout, M. Voyer écrit : “on peut l’échanger immédiatement avec n’importe quelle marchandise, ce qu’est incapable de faire n’importe quelle marchandise
Oui ! précisément :  l’argent est une marchandise qui les vaut toutes, leur équivalent général, ce qui n’est pas le cas d’une marchandise particulière.
Il est très difficile de troquer des chaussures contre un bifteck”, poursuit-il. Quoique, ... dans le désert, des chaussures VALENT mieux qu’un bifteck. l’estomac n’est pas tout ... même pour les “sauvages” !
Par ailleurs, Marx n’a jamais écrit de telles âneries (le bifteck d’âne, où cela se négocie-t-il ?) ; le particulier n’est pas le général. L’argent est une marchandise d'un statut particulier. En cela il est une institution puisque, par convention, il VAUT TOUTES les marchandises : il est ce qui permet leur mise en équivalence.
En cela, au moins, l’argent n’est pas une marchandise comme les autres. Le supposer même revient à de l’escroquerie intellectuelle, de “l’argumentisme” ...


4 - Plus loin dans son argumentaire, M. Voyer précise son point de vue par quelques-unes de ses définitions : après avoir défini “l’esprit (comme) l’usage général, l’esprit est l’utilité générale” - une facétie de l’anti-utilitariste Voyer, de rabattre l’usage sur l’utilité -, voici ce qu’il nous fait savoir à propos de ce qu’il désigne par “la communication”, synonyme de “l’esprit”, c’est-à-dire de “l’utilté générale” :
Seuls les pauvres se soucient de leurs seuls intérêts particuliers, très particuliers, très misérablement particuliers”. Et, poursuit-il, en guise d’illustration, Messier et Royale se pavaneraient sur la Muraille de Chine. Ah bon ? Est-ce là toute la richesse de ces pauvres là ?
C’est précisément parce que les dits “riches” ne “se soucient QUE de leurs intérêts particuliers, très particuliers, très misérablement particuliers” qu’ils se sont constitués en classe. La seule classe qui existe d’ailleurs, et dont la seule "utilité" est précisément de nous faire passer LEUR intérêt particulier pour l'intérêt général, leur "usage propre" (si l'on peut dire) pour "l'usage général" et veiller à ce que chacun s'y résolve. Comme le dit si justement la ménagère Cett' chère Margaret : "There is no alternative". Du moins, faut-il le croire.

Quant à a critique, sa première utilité est de ne pas prendre des vessies pour des lanternes, et l'idéologie pour "argent comptant".

 

Par ailleurs, on voudra bien nous faire savoir qui et où sont les “riches” ? Sur la Muraille de Chine ? Bon à savoir, mais si c’est pour y rencontrer Messier ou Royale ..., de petits gestionnaires, on se fout de qui, là ???
Les riches ont donc tout”, poursuit-il. C’est incontestable : la Muraille de Chine ... Mazette !... un vrai signe de puissance en effet ! Et que comptent-ils donc arrêter depuis leur Muraille ? les neo-Mongols ?
QU’ONT-ILS, précisément ? Un yacht sur lequel ils se cachent ? Un hélicoptère pour échapper, là encore, aux embouteillages, une marque de caviar ou de whisky de bonne qualité, pour oublier qu’ils sont cons à en crever d’indigestion ? Des pétasses sans esprit en veux-tu, en voilà ?

Cette vision un peu “sommaire” nous semble participer d’une dangereuse illusion, celle d’un monde où il y aurait encore des riches, voire d’une sorte de ressentiment à l’égard de l’outrancière outeecuidance des valets de pied du capital à se faire passer pour des riches, à se faire voir et ... “DÉSIRER” !

 

5 - Un peu plus loin, à propos de la définition de la magie, M. Voyer nous rapporte d'édifiantes lectures du XIXè à propos des “sauvages”.
De quel coté seraient donc “sauvages” et “civilisés“? Selon M. Voyer, le sauvage serait dans la forêt quand le civilisé serait coté bitûme et béton, argent, donc ...

Qu'avons-nous contre les sauvages, nous demandera-t-on, pour paraphraser M. Voyer posant la question à propos des singes ? Rien, sinon que la seule mise en évidence d'une spécificité de la sauvagerie nous semble davantage parler en faveur de la séparation, de l'éloge de la civilisation, donc, dont nous ne voyons pas bien se dessiner concrètement toutes les promesses, à considérer seulement les guerres récurrentes, les massacres qu'elles ne cessent de produire, et toujours en son nom.

Toujours dans le chapitre relatif à la magie, celle de l’argent, M. Voyer évoque la technique :”Elle est vouée à l’usage propre”, écrit-il, c’est-à-dire, domestique.
C’est un peu vite oublier que la technique, du moins son spectacle, est elle-même valeur d’échange. Qu’aurions-nous à faire de tant de technique pour notre usage propre ? La technique se fait magie en tant que valeur d’échange. C’est précisément ce qui fait acheter l’objet en question, quand la techné fait miroiter à l’esclave toute la libération dont elle est prometteuse. Un drone venant vous livrer vos pizzas aux lardons de cadavres et aux champignons hors sol, cé ty pas un vrai progrès ?

 

6 - Pour clore ce florilège, désolant, qui nous semble, au final, relever d'une "Opération séduction" entreprise par M. Voyer auprès des néo-Doriot dont il fait la promotion à l'envi sur son site - Soral et consorts - M. Voyer nous fait part de quelques une des ses préoccupations propres, nous voulons dire : à usage propre. Se livre-t-il pour autant à la magie ? Nous ne saurions le dire :
Évoquant la pratique des Trobriandais, il évoque le caillou jeté par-dessus la haie, qui “lui permet d’insulter ces voisins qui, ces cochons, laisseraient divaguer leurs porcs. Il n’y a pas de petits plaisirs”, conclut-il.
Voyer se ferait donc le chantre de la beaufferie. Ç'est censé faire rire en ce que ça peut rappeler de la misère ordinaire et des taquineries qu'elle génère ; ça se vend donc bien. Cela s’appelle aussi du “populisme”, ou du commerce, au choix.
Un plaisir que d’insulter ses voisins ?! Ah ! Bon ! Heureusement que le monsieur aura écrit “Reich, mode d’emploi.”

Mais aujourd'hui ? ne serait-ce pas plutôt sa concierge qui écrirait en son nom, tant se lit ici l’apôtre de la haine et du ressentiment ordinaire .... À moins que par un mépris des pauvres - assez compréhensible sans doute - il en vient à laisser supposer que c’est ainsi que ceux-ci pensent et s’expriment. Pardon ! les pauvres ne pensent pas ... comme chacun le sait.

Vous comprenez la magie de l’argent, désormais”,  conclut-il donc.
Grand merci pour tant de lumières, mais notre expérience nous laisse à penser que la magie de l’argent réside bien plutôt dans son pouvoir de transformer le monde à son image, quoi qu’il en soit de la volonté de celui qui le manie - le possède : Équivalent général dans lequel toute marchandise se réflète, il réduit le monde à une image sur laquelle il suffit de cliquer pour qu’elle advienne en 3D.

 

Reste que se pose la question de “l’utilité” d’une telle remise en question du point de vue de la critique ?
Que peut challoir à la critique de ce monde que l’argent soit un “équivalent général” ou un “utilitaire général” ? Quel est le réel enjeu d'une telle bataille ?

C'est ce qu'un autre épisode tentera de découvrir(2).

 

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NOTES, SOURCES & LIENS

 

1 - http://leuven.pagesperso-orange.fr/noc-blot-10.htm

 

2 - On cherchera la solution dans l'article intitulé "Vive la valeur !"

Publié dans De la Guerre

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