De la confusion (2)

Publié le par Pim

Modifié le 23/11/13

 

Ci-dessous un extrait  de ce qui nous semble caractéristique de la critique qui se nomme elle-même «critique de valeur» (wertkritik) ; nous soulignons en caractères gras des passages qui nous emblent devoir être particulièrement interrogés :


« une réinterprétation de la théorie critique de Marx » comme l'a appelée Postone, est apparue durant les deux dernières décennies. A la différence des lectures traditionnelles de Marx avec lesquelles elle rompt, cette approche parfois étiquetée comme mouvance de la « critique de valeur » (wertkritik), a des intérêts principaux divers : cette nouvelle critique s'est en grande partie faite remarquée pour avoir articulé une approche théorique qui porte une attention particulière au caractère fétichiste de la production de marchandises, à la dimension abstraite (travail abstrait) de tout travail, à la distinction entre valeur et richesse matérielle et à la nature du capital comme  « sujet automate ». Ainsi, à la différence des marxismes traditionnels les sujets principaux du capitalisme ne sont ni le prolétariat, ni la bourgeoisie, mais plutôt le capital lui-même (la valeur qui s'autovalorise). La valeur n'est pas limitée à la seule " sphère économique ", mais impose sa structure à toute la société, la valeur est une forme sociale de vie et de socialisation, un " fait social total ".

 Un des points centraux de ce nouveau travail théorique est de développer une critique du capitalisme qui ne s'arrête pas au niveau des antagonismes de classes sociologiques, à la question des rapports de distribution et de propriété privée des moyens de production. La classe capitaliste gère un processus de production de marchandises à son propre profit, mais n'en est pas l'auteur ni le maître. Travailleurs et capitalistes ne sont que les comparses d'un processus qui les dépasse, la lutte des classes si elle existe bien, n'est en réalité qu'une lutte d'intérêts à l'intérieur des formes de vie et de socialisation capitalistes. Ainsi à l'inverse de l'anticapitalisme tronqué, la critique de la valeur ose enfin critiquer le système dans sa totalité, et d'abord critiquer pour la première fois son principe de synthèse sociale, le travail en tant que tel, dans ses deux dimensions concrète et abstraite, comme activité socialement médiatisante et historiquement spécifique au seul capitalisme, et non comme simple activité instrumentale, naturelle et transhistorique, comme si le travail était l'essence générique de l'homme qui serait captée extérieurement par le capital. C'est le double caractère de cette forme de vie sociale et sphère séparée de la vie qu'est le travail et non le marché et la propriété privée des moyens de production, qui constitue le noyau du capitalisme. Dans la société capitaliste seulement, le travail abstrait se représente dans la valeur, la valeur est l'objectivation d'un lien social aliéné. La valeur d'échange d'une marchandise n'est que l'expression, la forme visible, de la valeur " invisible ".

 Un mouvement d'émancipation du fétichisme de la valeur, ne peut plus critiquer ce monde à partir du point de vue du travail. Il ne s'agit donc plus de libérer le travail du capital, mais de se libérer du travail en tant que tel, non pas en faisant travailler les machines à la place car le mode industriel de production est intrinsèquement capitaliste (la technologie n'est pas neutre), mais en abolissant une activité posée au centre de la vie comme socialement médiatisante.

http://palim-psao.over-blog.fr/article--anselm-jappe-avec-guy-debord-le-concept-de-spectacle-et-la-critique-de-la-valeur-article-wikipedia--42860343.html

 

 

Remarquons, en premier lieu, que cette "nouvelle" approche se pose comme un dépassement d'une critique marxiste qui l'aurait précédée, prenant le parti "inverse de l'anticapitalisme tronqué", "osant enfin critiquer le système dans sa totalité". On admire tous ceux qui montent ainsi sur la barricade, clamant qu'ils sont les premiers à le faire.

On supposera donc, en croyant ces aventureux chevaliers, que Marx n'aura pas critiqué "le travail en tant que tel".

De même, nous dit-on, les situationnistes, quand Debord écrivait sur les murs de Paris, il y a de cela tout juste 60 ans : "NE TRAVAILLEZ JAMAIS !" l'ont fait d'un point de vue "romantique" ... Autant dire non sérieux, comme peut l'être, en effet, un professeur des universités faisant de la subversion son gagne-pain ...

Avant A.Jappe, ce fut H. Lefebvre, un professeur, lui aussi, mais sans doute d'une autre carrure quand même, qui traita les situationnistes de "romantiques" après qu'ils se furent brouillés avec eux.

 

Que le travail soit, ou non, "l'essence générique de l'homme", ne change guère le fait de son exploitation forcée par le capital qui, en effet, en extrait ce qui le fait se développer. Et cette exploitation si juteuse a en effet donné sa forme au travail salarié comme activité séparée de la vie sociale, à partir de laquelle toute vie sociale a été envahie pour devenir travail. Le résultat, en effet, est que "Dans la société capitaliste seulement, le travail abstrait se représente dans la valeur (...)" puisque c’est là son but même.

En conclure pour autant qu'"Il ne s'agit donc plus de libérer le travail du capital, mais de se libérer du travail en tant que tel, non pas en faisant travailler les machines à la place car le mode industriel de production est intrinsèquement capitaliste", serait-ce là, donc, toute la prétendue "nouveauté" de la critique qui "ose enfin critiquer le système dans sa totalité" ici rabattue sur la seule question du travail ?

Il est pourtant évident, du moins, me semble-t-il, qu'œuvrer à ce que se supprime le prolétariat, c'est en finir avec le travail aliéné.
Qu'est-ce que le travail aliéné, sinon un travail QUI NE S'APPARTIENT PAS, une LABEUR VENDU, dont nul n'a décidé sinon le système pour ses besoins propres (si l'on peut dire !...) de développement ? Qu'irions-nous faire, sans le capitalisme, de construire des centrales nucléaires, d'industries d'armement, d'une industrie pharmaco-pétro-chimique ? Sans le capitalisme, qu'irions-nous faire de l'industrie ? C'est-à-dire du travail forcé ?

Que le capital soit devenu “sujet automate” développant ses seules logiques, au mépris des individus qui le portent, qu’y-t-il de nouveau à cela, sinon que ce systéme se déploie toujours plus conformément à ce qu’il est essentiellement, une vampirisation de toute vie, une organisation de la non-vie ?

 

Faut-il, pour autant, en conclure que disparaît l'antagonisme de classe, que ce site, cette «critique de valeur» (wertkritik) semble rendre douteux ? "L'Histoire est l'histoire de la lutte de classes" énonçait Marx. Faire du système, plus exactement son auto-développement selon ses logiques internes, le seul acteur, in fine, de cette Histoire, revient à proclamer la fin de l'Histoire : "Il y eut de l'histoire, il n'y en a plus" aurait aussi dit Marx, et les situationnistes lui emboîtèrent la pas, proclamant la séparation et  l'autonomisation des logiques du capital s'auto-organisant.

Deux aspects nous semblent donc peu recevables de ce qui est  dit par "la critique de la valeur", pour autant que nous en comprenions le sens :

a/ qu'elle serait innovante en la matière, ce qui nous semble loin d'être le cas ;

b/ que le capital serait le seul acteur, rejetant le prolétariat comme une sorte de figurant illusoire.

Là serait en effet l'originalité, si l'on peut dire, de "la critique de la valeur", puisque les situationnistes n'ont jamais abondé dans ce sens, sens qui est plutôt celui de cette prétention à faire disparaître la lutte de calsses au profit d'une sorte de critique confuse de cette époque, amalgamant l 'oppresseur et l'opprimé, au motif qu'ils seraient dans la même barque, que rien ne leur appartiendrait plus de leur Histoire et qu'ils devraient donc s'associer main dans la main et bla bla bla ....


Que serait le capital sans ceux qui le font vivre ? Les ouvriers certes - et le travail qu’il commettent sous le fouet de la "nécessité" telle qu'elle est construite et encadrée par la structure juridique de la propriété -, mais, aussi bien, mieux même sans doute, ceux qui pensent tirer parti de cette organisation, l’améliorent toujours davantage dans le sens de ce qu’ils pensent être leur intérêt de marchands de ce travail là, qui lui vendent l'intelligence humaine de sorte qu'il devienne toujours plus inhumain.

Les procédures sont tout, les hommes rien, nous martèle ce système qui entend bien réduire l'homme à n'être que l'utile servant de ces procédures, à n'être lui-même qu'une procédure. Précisément. Que sont les procédures, sans les hommes qui les mettent en actes ?

"La lutte de classes, si elle existe bien, n'est en réalité qu'une lutte d'intérêts à l'intérieur des formes de vie et de socialisation capitalistes". sans doute. Que dit d'autre Marx ? Ne se contentant pas de cette lutte d'intérêts sordides à l'intérieur, il énonce simplement qu'une de ces classes d'intérêts porte en elle, comme un fruit non encore abouti, le dépassement de la forme qui les contient ; que ce dépassement est non seulement 'l'intérêt" de ce qui se constitue, dans le cours même du mouvement, en classe, mais qu'il est aussi une dynamique interne aux forces en jeu, contenue dans leur développement même qui n'est que le développement du capital lui-même, de sa puissance de feu retournée contre les hommes qu'elle contraint à prendre conscience de leur situation sous peine d'être emportés comme fétus de paille dans la faillite inéluctable d'un système qui vampirise toute vie sur terre.

Le Capital, certes, apparaît comme le sujet de son auto-développement ; il n'empêche que les hommes qu'il se soumet, restent, en dernier ressort, ceux qui décident d'être, OU NON, les dindons de la farce que leur jouent les marchands, ces porteurs du capital.

 

En se dressant  contre les hommes,, comme une force hostile qui leur aura échappé dans la production INCONSCIENTE  de leur existence, le Kapital engendre inéluctablement une classe de gens DÉPOSSÉDÉS de tout contrôle sur leur existence. C'est là la définition même que le situationniste Debord donne du prolétariat, cett CLASSE qui, pour devenir telle, doit s'affirmer comme la classe de la CONSCIENCE.

Car, précisément, le soutien que les producteurs apportent au Kapital, dont il est dit pas la "critique de la valeur" qu'il serait le "sujet automate",  est précisément leurs automatismes, leurs habitudes d'agir ainis parce qu'ils ont perdu l'esprit de ce qui les fait agir, parce qu'ils sont ALIÉNÉS. le situationniste Debord n'écrivait-il pas que le seul soutien au monde tel qu'il se déployait contre nous n'étaient plus le fait que de névrosés ? C'est  notre inconscience qui reproduit le capital. Tous ces processus automates sont d'abord NOS automatismes tels que nous les produisaons sous l'empire de cette drogue qu'est le kapital, que nous produisons quand nous ne cessons d'être ses ROBOTS.

Le travail, bien évidement, y participe, puisqu'il est le lieu par excellence, de ces automatismes obligés que nous sommes de produire en suivant les injonctions qui sont celles de la reproduction du Kapital.

Celui-ci a beau avoir largement, depuis Marx, dépassé le strict cadre de l'usine pour envahir la totalité de la vie sociale, comme "rapport social" de notre dépossession, ainsi que l'avait énoncé Debord, il n'empêche que la "valeur" ne se constitue que du travail humain, non des automatismes des machines. Telle est LA contradiction mise en évidence par Debord qui écrit  que les ouvriers restent au centre de la capacité de mettre le Kapital en déroute.

 

Là aussi se situe toute la confusion de cette époque, laquelle prétend avoir liquidé les ouvriers, forte d'avoir divisé le travail, jusqu'à son émiettement, voire sa parodie.

Se réclament de cette "vision du monde" - de cette idéologie, donc -, tous ceux qui prétendent pouvoir se réjouir de ce que les classes auront été, dans le même temps, liquidées, laissant le monde enfin débarrassé de son spectre, ce qui "le" laisse enfin sereinement vaquer à ses occupations : la guerre, le pillage, la destruction de toute vie sur Terre, ....

Mais, dans la confusion régnante - la défaillance de la critique de ce monde qui aura rendu les armes, de fait -, s'en réclament aussi ceux qui ne contrôlent plus rien de leur vie, chassés de ce "paradis terrestre", quand ils sont précisément ceux qui DOIVENT le reprendre en mains propres, sous peine de figurer sur la liste des prochaines disparitions.

 

Que peut signifier "le reprendre en mains", sinon démonter ces logiques à l'œuvre CONTRE ceux qui en détiennent aujourd'hui si ce n'est les clés - l'intelligence et le contrôle -, du moins quelques manettes, et ce dans chaque situation où ce rapport social de domination organise la dépossession de tous au nom des logiques automates, mais pour le bénéfice, fut-il certes illusoire, de ceux qui valident un tel rapport social.


L’homme toujours, est le cœur, sinon l’esprit, de ce “sujet automate”. Celui-ci donne sa forme à l’Histoire, mais les hommes la portent ; certains portent haut l’étendard de la déraison, tandis que d’autres retournent la crosse du fusil. La conscience que les hommes se forgent au fil des circonstances qui les drainent reste le seul véritable acteur de cette Histoire, en rien "automate" pour ce qui la concerne.

  

À partir de ce seul doute là, nous permettons de douter à notre tour des forces à même d'en finir avec ce qui les aliène ... Mais peut-être n'aurons-nous pas tout saisi de la "nouveauté" qui s'annonce telle.

En attendant, et parce que de telles positions nous semblent incompatibles avec ce que nous menons, le lien direct permettant d'accéder au site "critique de la valeur" ne figurera plus sur notre blog jusqu'à plus ample informé.

Publié dans De la Guerre

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