De quelques passages peu fréquentés

Publié le par Pim

« Vis-à-vis d'un cadre si tragique (…) se pose à nouveau le problème de Qoelet de la suprématie de l'esprit sur la richesse : dans un moment comme l'actuel, dans lequel la société où nous nous mouvons a pris une empreinte décidément économique donnant lieu à une époque satisfaite... Notre vie est devenue une affaire, alors qu'elle était une présence. Ce qu'on considère un progrès moral n'est que la sujétion entière de l'individu à la puissance de l'Etat, qui peut conduire à une abdication complète de la personnalité, surtout si la préoccupation de gagner de l'argent menace toute initiative. Cette prétention d'une supériorité morale de notre temps a à son origine un syllogisme : parce qu'on gagne de l'argent plus aisément, et plus sûrement dans le temps présent que dans le passé. Il s'est ainsi créé un sens nouveau de sécurité, de nature économique, et toutes les sécurités ont un effet dévastateur sur notre esprit. Les époques satisfaites sont des époques désespérées... D'une part, l'homme se divertit et conquiert des richesses qui compensent  sa situation désespérée, d'autre part le désespoir est le point d'arrivée d'un âge satisfait, content de ses conquêtes économiques, auquel manquent ces émotions puissantes qui conduisent et soutiennent les âmes au dessus d'elles-mêmes en jetant de la variété au milieu de l'uniformité de nos conditions et la monotonie de nos jours. Or il s'agit de substituer à l'amour du bien-être des passions plus énergiques et plus élevées... Une qualité essentielle, pour notre bonheur, disait Schopenhauer, une qualité essentielle est le courage. Pour ce monde dans lequel on joue avec des « dés en fer », il faut un esprit ferme, cuirassé contre la destinée et armé contre les hommes... Résigné n'est pas celui qui a compris : c'est celui qui a cessé de combattre"
Ariberto Mignoli, Ricchezza e Sapienza, Milano, 5.5.1990 (manuscrit), in Le Doge, Souvenir, par Gianfranco Sanguinetti
http://julesbonnotdelabande.blogspot.nl/2013/04/le-doge-souvenir-par-gianfranco.html


"Est révolutionnaire qui fait la révolution", aurait dit Che Guevara(1).
Sans me prononcer ici sur la qualité du monsieur à traiter d’une telle question, je souhaiterais simplement ajouter que la définition ne dit rien sur ce qui la définit : qu’est-ce que "faire la révolution", sinon vouloir vivre, ne pas se contenter de ce que l'on nous concède à cet usage dans nos réserves pour bons sauvages, imposer le souhaitable quand celui-ci s'impose à tous, par les développements mêmes de la vie, comme possible ?

 

Une telle définition, dans sa simplicité même, devrait permettre de dévaloriser jusqu'à son non emploi le terme de "révolutionnaire", personnage au demeurant peu sympathique en ce qu'il eut historiquement un peu TROP tendance à se prendre pour ce qu'il n'était pas : une sorte de professionnel, voire de surhomme, s'arrogeant les douteux honneurs du vedettariat, se permettant de juger les "masses" amorphes et apathiques et surtout, s'auto-justifiant ainsi d'avoir à les diriger, lui qui a "combattu", dans les rues, les jungles, arme à la main, alignant l'ennemi, du moins celui qui, moyennant solde, aura accepté de se battre pour lui, jouer les supplétifs et/ou les mercenaires, selon cette conception que la "révolution" est assimilable à la guerre.

 

Je me souviens avoir lu un ancien de la colonne Durutti rapportant s’être effondré le jour où l’embrigadement et la militaristion furent décrétés dans les rangs de la défense de la république attaquée par les chiens de guerre de Franco.
La révolution réduite à la guerre n’est pas la révolution ; elle est même son exact contraire, une CONTRE-révolution, même si la violence est difficilement évitable du fait même de ce que l’ordre pourrissant ne se retire pas au seul motif qu’on le lui demande. Rappeler ses buts et ses méthodes est une exigence qui ne souffre aucune lacune.
En d’autres termes, la révolution n’est pas une formalité à accomplir, pas plus qu’elle n’est un processus lent et laborieux enfanté dans la douleur, comme ce à quoi l’ont peu à peu réduite les “révolutionnaires”auto-proclamés, successeurs des curés et autres bonnes sœurs, expurgeurs de plaisir de vivre, assimilant révolution et purification morale, ethnique, socio-culturelle, éco-sociale, etc , ... la liste n'étant pas limitative.

 

S’il me fallait résumer sa difficulté, en peu de mots, je dirais que, de mon point de vue, la révolution c’est non pas être contre, mais pour. C'est bien là toute sa difficulté, quand pour construire il faut détruire, quand l'ennemi est si incertain qu'il faut le construire à travers un cheminement à la fois sensible et intellectuel, et qu'il s'agit, en tout premier lieu, notamment, de se retourner contre sa propre propension à lâcher prise, à se laisser couler au courant boueux de la désorientation, qui incite à ne pas garder le cap de l'existence, de la vie magnifique et généreuse.
La critique reste le moyen, non le but, l’élargissement de la vie, qui suppose que le réel soit remis au niveau du possible dans le sens du souhaitable.

La vie triomphe, et c’est la vie qui appelle. Tel est le sens de la jonction qui se fit, quelque part à la fin du XIXè, me semble-t-il, entre les artistes et le mouvement prolétarien.

Celui-ci, ramené à la simple lutte contre la misère économique, accompagne le pourrissement de ce monde. L’économie est d’abord l’économie de la vie, une injonction dans ce sens qui se fait toujours plus force de contrainte matérielle en faisant de la vie une vie du point de vue de l’économie, avec ses villes au carré et sa mentalité de boutique. C'est de la vie d'usine partout étalée avec ses nuisances infectes de décomposition, dont en tous lieux, aujourd'hui, nous suffoquons.

 

Vouloir la richesse, entreprendre de la réaliser comme vie, voilà la révolution, qui signifie, aussi bien, critiquer l'insuffisance de ce qui restreint la vie, condamne son déploiement à croupir en quelque arrière-cour ; critiquer l'impuissance de ces prétendus dirigeants, l'incompétence de tous ceux qui, en charge de la "gestion de la vie mécanisée, robotisée, économisée" en viennent à la négligence et à la défaillance, ... .

Il faut prendre à la lettre que les classes possédantes ont pu nommer "dangereuses" les classes qui ne possédaient rien de leur vie : ne rien posséder incite à vouloir tout.

Comprenant cela, on saisit toute la détermination des classes possédantes à lâcher du lest, pour faire monter leur montgolfière, en donnant aux pauvres le sentiment qu’ils possédaient un peu, et qu’ils pourraient même, à force de courage, de détermination, d’économie de leur existence, de leur force, de leur santé, de leurs passions, devenir un peu plus propriétaires de quelque chose. C'est là tout le sens de la religion, y compris celle de l'argent. Mais jamais propriétaires de l’essentiel, la liberté de décider du monde dans lequel on souhaite vivre : telle est la richesse, c’est-à-dire la puissance, celle de vivre à la hauteur de ses forces et de ses aspirations. Un monde humain est d’abord un monde qui sait organiser de telles coopérations pour rendre possible cela.

 

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NOTES, SOURCES & LIENS

 

1 - http://rodolediazc.blogspot.fr/2014/03/geographie-dabord.html

Publié dans De la Guerre

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M
<br /> Superbe ! Je ne connaissait pas l'extrait que tu a mis en haut, qu'es ce que ça me plait...<br /> <br /> <br /> Tiens je te met un tableau<br />
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L
<br /> J'adore cette façon impressionniste que t'as, Pim, de procéder par touches plus ou moins bigarrées, mais assez espacées pour donner de l'espace à l'espace, cette liberté noyée dans les nuages,<br /> voire même étouffée, qui soudain respire !<br /> <br /> <br /> Je n'ai jamais su définir l'anarchie, trop gauche devant l'immensité, que par le mot d'un anarchiste aragonais, Felipe Alaiz : "L'Anarchie n'est pas un système, messieurs, mais un comportement<br /> devant n'importe quel système !"<br /> <br /> <br /> La chose est toujours actuelle, il me semble et toi t'aurais aimé croiser ce gars-là, j'en suis sûr. Ah, qu'il était mal embouché, le cochon !<br /> <br /> <br /> Je dis ça, je dis rien.<br />
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P
<br /> <br /> Merci, lediazec, pour ce magnifique commentaire, et cette amitié de si bien connaître et manifester nos communes sympathies : j'ai un vrai faible pour les cochons.<br /> <br /> <br /> <br />