De la censure

Publié le par Pim

Maîtresse de ses désirs, elle vit le monde, elle en fut vue” est-il écrit dans Internationale situationniste, sous la photo de Michèle Bernstein.
De même fut-ce le programme qu’appliqua son instigateur Guy Debord, quant à sa vie dont il fit un panégyrique pour cette société du spectacle, qui, éblouie là par ses propres méthodes, ne cesse aujourd’hui de s'en faire la contemptrice aux yeux de Chimène, maintenant qu’il s’est éteint il est vrai.
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Cette société du spectacle qu’il fustigea, de même qu’elle  panthéonise (à quand la proposition de notre cultivé président de placer au Panthéon la photographie de Guy Debord, pour tout ce dont IL lui est redevable quant à sa spectaculaire politique  ?) les morts qu’elle pourchasse, emprisonne, torture de leur vivant (ce n’est pas contradictoire), cette société mortifère ne cesse de se dresser des idoles pour occulter toute réalité. Guy Debord participa de la construction de cette idolâtrie, bonne pour ces classes moyennes, classes de la consommation de masse, auxquelles sont livrés des Reader’s Digest, confiture de culture dont elle doit faire étalage in expresso comme d’une “valeur” monnayable quand l'unique moyen de cette classe d'exister est de faire voir, en effet, son "pouvoir d'achat".
Ce n'est pas le moindre des "méfaits" de cet “artistecinéaste, homme du spectacle qu’il a combattu sans négliger de s’y écrire un rôle, celui d’une “mauvaise réputation” que lui conféraient ceux-là mêmes qu'il combattait .... comme garantie de la justesse de son point de vue !
Le synopsis de celui-ci comportait-il donc d'avoir à délibérément dissimuler le travail de Günther Anders ? Son livre, “L’obsolescence de l’homme”, sortit en 1956 en Allemagne. Ces lignes, entre autres, témoignent de ce qu’il fut le réel initiateur de la théorie du spectacle, quand Guy Debord, en dépit de ce qu’il laissa advenir en participant de la construction d’un mythe à son propos, n'en fut que le génial propagandiste, qui permit à la critique du spectacle d'apparaître ... sous son seul nom :

“Nous sommes donc là aujourd’hui comme autant de Lyncées “nés pour voir, faits pour regarder”, et nous regardons. Mais notre saint patron, notre modèle, ne semble plus être Lyncée. Nous ne regardons plus comme il regardait. Puisque nous ne quittons pas notre maison, puisque nous guettons le moment où une proie va tomber dans notre toile, c’est comme une araignée que nous regardons. Notre maison est devenue un piège. Ce qu’il capture est devenu pour nous le monde. Rien d’autre.
Nous sommes donc assis. Un morceau de monde vient de se prendre dans notre toile. Il est à nous.
Mais ce qui est venu se prendre dans notre toile n’y est pas arrivé par hasard. On nous l’a jeté. Et ce qu’on nous a jeté n’était pas un morceau de monde mais un fantôme. Ce fantôme, pour sa part, n’était pas une copie du monde mais ce qu’avait imprimé une matrice. Cette impression, à son tour, n’est "
nôtre" que parce qu’elle doit nous servir de matrice, parce que nous devons nous refaire à son image. Si nous devons nous refaire à son image, c’est pour ne plus appeler “nôtre” que cette matrice et pour ne plus avoir aucun autre monde qu’elle.” (Günther Anders, “L’obsolescence de l’homme” p. 220 Ed.. de l’Encyclopédie des Nuisances. Paris 2002).

Ainsi en est-il du monde aujourd'hui étiqueté "d'origine biologique" (sic !), qui ne saurait avoir droit de cité dans le vrai monde que sous la forme d'un label attestant de son caractère vendable, de son appropriation donc par une machinerie indiustrielle garantissant son existence réelle, c'est-à-dire "sécurisée" pour le bien-être de ses pauvres cons de mateurs, qui, tout en le fantasmant, tremblent, aujourd'hui, devant ce vivant qui leur semble déjà si étranger.
Ce vrai monde, honorablement produit industriellement, et dont l'explosion de quelques unes de ses usines de fabrication (Bhopal, Tchernobyl, AZF, ...), entre autres incertitudes regrettables, a écorné en quelque sorte la respectabilité, s'est redonné une nouvelle fraîcheur en faisant ressurgir sous la forme de fantômes quelques unes de ses vieilleries, aujourd'hui objets d'une ferveur fort rentable à la mesure de la crédulité de ceux qui préfèrent loucher vers une Antiquité dans le cours de laquelle se vendait le vivant - source même de sa fortune -, plutôt que de ruiner à jamais un monde qui en éteint réellement jusqu'au souvenir.

C'est Anders encore qui, dans les pages précédant ce passage (p. 217),  définit ainsi la production industrielle de la texture du spectacle : "Les évènements, tels qu'ils adviennent "naturellement", c'est-à-dire en tant qu'évènements singuliers, ne valent rien. Ils ne sont que de la matière première. Ils traînent la culpabilité d'être des attributs inutilisables ; ils ne peuvent "passer" la censure de l'ontologie de l'économie. Pour valoir quelque chose, ils doivent d'abord être multipliés,  et puisqu'il serait absurde de multiplier de la matière première, ils doivent avant tout, en quelque sorte, "être passés" broyés à la moulinette, c'est-à-dire être filtrés. C'est seulement une fois "passés" qu'ils valent quelque chose."

Publié dans De la Dépossession

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