Mettre chez soi

Publié le par Pim

Écoutant le discours de la Marine sous l'eau jouant les Jeanne d'arc - il faut bouter l'Anglois -, avec ce slogan "rester maître chez soi", je me suis dit que là résidait le cheval de Troie emprunté par la rhétorique fascisante : le mythe d'Ulysse, qui, après un long voyage - durant lequel il ne négligea point de prendre au passage quelque bon temps quand même -, revint demander des comptes à Pénélope entourée de prétendants au trône d'Ithaque.

 

Comme c'est mignon ! et ne voilà t-il pas que l'argument n'est pas sans fondement, tant le capitalisme, en effet, expulse littéralement chacun de chez soi : tant les petits propriétaires aux États-unis - dans une véritable arnaque délibéremment montée par les banques pour récupérer les maisons après avoir fait contracter des prèts à des débiteurs insolvables - ; que la guerre, de ci, de là sur la planète ; que les ravages causés - ainsi l'extraction du gaz de schiste, forçant, toujours aux États-unis, des propriétaires à déménager en raison des nuisances occasionnées ; ou celle des paysans indiens de l'Inde dépossédés du droit d'user de leurs semences ; ou encore celle des Amer - ils ont toutes les raisons de l'être - Indiens d'Amazonie, chassés de leur terre par des projets de barrage ou par la déforestation massive pour l'élevage de viande sur pattes  - ; qu'enfin, d'une manière essentielle à la marchandisation du monde, la transformation du vivant en chose vendable.

Une telle expulsion de l'homme de ses terres s'accompagne d'une véritable dépossession de toute capacité de décision sur quoi que ce soit de son existence. Ce n'est plus l'homme qui dirige sa vie, mais le voici spectateur d'une vie se déroulant sans lui, en quelque sorte, "prise en charge" par les logiques autonomes du capital, de son développement, de sa valorisation.

Aussi bien Mme Le Pen a-t-elle beau jeu - sans avoir tort - de dénoncer l'Europe, cet instrument du capital pour déjouer toute décision démocratique, comme elle a beau jeu - et toujours sans avoir tort - de dénoncer l'impuissance des politiques qui tournent, tels des moulins à vents hollandais ou sarkozistes, à faire beaucoup de vent avec leur langue, mais sans résultats autres que de renforcer en Europe, la banco-technocratie, la dépossession de toute capacité à décider.

 

Pour autant que soit plutôt pertinente la dénonciation de cette dépossession, la divergence - c'est le moins qu'on puisse dire  - intervient dès l'instant où pointent les prétendues solutions au problème dénoncé. Après avoir signifié que tout échappe à l'homme, la raison en serait, selon la droite dite patriotique, que ce sont les USA, les cochons d'Anglois, les juifs, ou je ne sais qui encore qui seraient aux manettes de cette dépossession pour tout contrôler. Il suffirait donc de bouter l'Anglois et tout redeviendrait propre et serein - cui cui - en notre chère et si belle patrie qu'il n'y a jamais eu que des estrangers pour nous y faire chier, c'est très connu.

Très amusant, mais un peu court, et c'est toujours là la limite indépassable du nationalisme qui, avec un train de retard, toujours, prétend qu'à l'heure du capitalisme mondialisé, il y a encore des possibilités de faire contre tout en faisant avec ...

Faire avec, c'est bien sûr le premier, pour ne pas dire le seul réel but de la manœuvre dilatoire. On repousse toujours l'échéance d'une vraie critique, d'une critique radicale, à la racine du capitalisme, pour prétendre qu'il serait possible, au fond, de s'en accomoder et fort bien dans un cadre national, avec de bons patrons "Français de souche" et de bons ouvriers toujours aussi purs et durs qu'une baguette de pain industriel - mais français - de trois  jours.

Tout cela, bien évidemment,  relève du mythe, comme relève du mythe, la prétention d'Israël à un "État juif "!... Mais cela est une autre question, bien que relevant du même registre de l'illusion communautaire.

 

C'était là, aussi, la prétention du libéral-onservatisme de certains Allemands à la fin de la guerre de 14, comme Carl Schmidt qui inspire encore aujourd'hui la dite nouvelle droite en France, comme certain de l'État français, récemment nommé aux plus hautes fonctions du gouvernement.

Ce conservatisme, violemment opposé au prolétariat révolutionnaire, donna le nazisme.

De même en France, la "Révolution nationale" de Pétain donna-t-il la collaboration et les milices de Laval.

Drôle de nationalisme, en effet !... mais dont on peut comprendre combien le capitalisme et ses ravages tous azimuts lui ouvrent un boulevard. C'est bien parce que plus rien ne semble stable, que tout se délite, que certains veulent désespéremment se raccrocher aux branches.

Et le capital lui-même pousse à la manœuvre puisque de telles branches sont précisément celles qu'il est en train de scier et qui vont tomber dans son escarcelle, si ce n'est déjà fait : ainsi le "camembert authentique" lui permet-il un segment de marché supplémentaire, tandis qu'il a globalement déjà supprimé jusqu'au souvenir même du goût  du camembert fabriqué à la ferme et que ses procédures de rationalisation du travail lui ont fait expédier aux oubliettes.

Je parle du camembert, comme je pourrais parler de l'eau en bouteilles, cette escroquerie à grande échelle qui a fait que dans le même temps que l'eau était globalement dégradée par la pollution aux pesticides et autres nitrates, on la vendait en conserve au motif de sa "pureté retrouvée", comme si les nappes phréatiques ne communiquaient pas.

Allez! encore un effort vers l'extraction du gaz de schiste, et les eaux minérales feront un tabac ... enfin ! une vapoteuse ... (ne pas confondre avec pétroleuse)

 

Le conservatisme à l'honneur, ce n'est pas un scoop. Mais c'est suffisamment ambigû pour avoir durablement contaminé la critique radicale qui s'en est trouvée détournée, polluée par une reprise de quelques uns de ses points de vue sur la dépossession du monde par la pensée fascisante, en faisant son cheval de bataille contre la technocratie européenne.

 

Le Kapital, sans doute pour la première fois de son histoire, aura réussi à faire l'unanimité contre lui, à l'exception, sans doute, de quelques derniers névrosés, à l'instar des snipers de Berlin dans la chute du IIIè Reich.

Le conservatisme est devenu aujourd'hui une exigence nécessaire : que soient préservés ce que chaque jour l'argent détruit, l'air, l'eau, les forêts, la vie enfin. Mais cette exigence est tout aussi bien celle de la négation sans ambiguîté du système capitaliste, du système de la valeur se valorisant, autonome contre les hommes, en dépit des hommes et de la vie, comme la seule cause réelle de ces ravages et destructions.

Voilà ce qu'un certain conservatisme ne veut précisément pas détruire, ramenant sans cesse la question sur celle du territoire, de la nation, de la patrie, de leur destruction par le capital, quand elle est celle de la vie niée par le capital, ce rapport social de domination, affranchi, depuis belle lurette, de tous ces oripeaux de la bourgeoisie ascendante qui fut, un temps nationale, en effet, même si, pour durer, il ne manque jamais de les ressortir, comme il le fait en France, en Europe, en Ukraine, ... 

 

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