De la robotisation de l'existence

Publié le par Pim

Comment une machine peut-elle générer de la plus-value ?

 

D'au moins deux manières :

 

1 - la plus-value est extraite du cycle de l'argent ; lequel argent se transforme en marchandise qui, vendue, retrouvera sa forme première divine, l'argent, mais sanctifiée d'un "petit plus", vulgairement nommé plus-value, qui se trouve être la béatification à son stade suprème.

La machine, en docile esclave, ne saurait participer de cet état divin. Quant à son concepteur, il disparaît le plus souvent derrière son produit. Seule l'organisation sociale qui a permis la génération de cet outil miraculeux - transformant la merde en or -, peut prétendre à l'état de grâce consistant à en récolter (forme agraire de la moisson) les bénéfices ;

 

2 - on touche là au deuxième aspect de la chose, puisque la machine, une fois produite, doit continuer d'évoluer dans un environnement serein, c'est-à-dire propice à sa bonne réception 5 sur 5 "(Game is) over". (Bush dixit, quand il voulut bien se faire comprendre des petits robots) ; autrement dit, à sa reconduction.

C'est dans la modélisation des conduites que le robot trouve sa véritable plus-value.

De même que l'esclave humain doit littéralement AIMER son maître afin de servir au mieux, que dis-je, de prévenir ses moindres désirs, de même le grâcieux robot se trouve au comble de la joie - si l'on peut se permettre d'évoquer ainsi les états d'âme d'une machine - quand il permet que l'humain en vienne à avoir honte de ne pas être aussi docile et fonctionnel, en un mot aussi perfectionné qu'un robot, quand l'humain - ainsi que le met en évidence Günther Anders, dans "L'obsolescence de l'Homme" - en vient à désirer, lui aussi, être produit.

Le comble de l'aliénation est alors comme une sorte d'ersatz d'extase divine pour l'esclave, qui parviendrait presque à l'orgasme si son dieu le lui permettait. (Mais il ne faudrait quand même rien exagérer : quand on leur donne ça, ils vous prennent ça (ces cannibales)).

 

 

Le capital est un rapport social, autrement dit une organisation sociale hiérarchisée dans laquelle l'esclave doit plier la tête devant les désirs du maître. C'est parce que l'organisation sociale, le rapport social qu'est le capital, a besoin de sa reconduction, ad vitam æternam (comme ils disent dans les lieux consacrés où l'on parle doctement de la chose), qu'il est, à la fois ce que l'on regarde comme modèle imitable, désirable, comme puissance autonome qui s'est détachée dans le ciel des idées, comme monde inversé où la puissance de l'homme, séparée de lui-même, se donne à voir,

ET comme conduite tenue dans le moindre de nos gestes, intégrée, société (si l'on peut dire ainsi de la séparation des hommes entre eux réunis par leur seule contemplation de la conduite à tenir).

La société EST spectaculaire ; elle est ce rapport social hiérarchisé dans lequel les robots sont admirables, et où celui qui a de l'argent l'est aussi comme la preuve vivante - si l'on peut ainsi dire d'une momie - de ce qu'être un robot permet de gagner beaucoup d'argent et donc de puissance et donc de capacité à être un robot.

 

Tel est le sens de cette organisation sociale, devenant toujours plus visiblement ce qu'elle est essentiellement, une organisation spectaculaire de la non-vie.

 

 

Le philosophe Gérard Briche décrit bien la marchandise et ses métamorphoses, mais en vient à pédaler dans la semoule lorsqu'il s'agit de comprendre le concept de spectacle, dont il se demande s'il est, ou non, séparé de la vie réelle, s'il plane au dessus d'elle, à la manière de la religion.

http://palim-psao.over-blog.fr/article--le-spectacle-comme-illusion-et-realite-debord-et-la-critique-de-la-valeur-par-gerard-briche--39150891.html 

 

Debord est limpide à ce propos, dans le chapitre I de "La société du spectacle" :

 

"4 - Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images."

"34 - Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image."


Autrement dit  Lle spectacle est un rapport social médiatisé ... par du capital.

Entre les deux thèses, il aura pu développer :

"5 - Le spectacle ne peut être compris comme l’abus d’un monde de la vision, le produit des techniques de diffusion massive des images. Il est bien plutôt une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite. C’est une vision du monde qui s’est objectivée.
6 - Le spectacle, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n’est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée. Il est le cœur de l’irréalisme de la société réelle. (...) Il est l’affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire.(...).
7 - La séparation fait elle-même partie de l’unité du monde, de la praxis sociale globale qui s’est scindée en réalité et en image. La pratique sociale, devant laquelle se pose le spectacle autonome, est aussi la totalité réelle qui contient le spectacle. Mais la scission dans cette totalité la mutile au point de faire apparaître le spectacle comme son but. Le langage du spectacle est constitué par des signes de la production régnante, qui sont en même temps la finalité dernière de cette production.
8 - On ne peut opposer abstraitement le spectacle et l’activité sociale effective ; ce dédoublement est lui-même dédoublé. Le spectacle qui inverse le réel est effectivement produit. En même temps la réalité vécue est matériellement envahie par la contemplation du spectacle, et reprend en elle-même l’ordre spectaculaire en lui donnant une adhésion positive. La réalité objective est présente des deux côtés. Chaque notion ainsi fixée n’a pour fond que son passage dans l’opposé : la réalité surgit dans le spectacle, et le spectacle est réel. Cette aliénation réciproque est l’essence et le soutien de la société existante.

 

 

Cette "Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite, cette vision du monde qui s’est objectivée", nous la retrouvons, comme spectateurs captifs, dans l'urbanisme des villes, dans les films catastrophes devenus l'unique scénario que diffusent les écrans, tout autant que dans l'actualité telle que nous sommes à devoir l'apprendre, laquelle "actualité" n'est nullement le reflet d'une réalité, mais bien plutôt la réalité reconstruite à laquelle chacun est sommé de se conformer. Le stress, la tension deviennent LA réalité, au terme d'une stratégie de la tension menée de manière cohérente par tous les moyens dont dispose le capital pour imposer son point de vue sur toute question.
il n'est plus question de barrer la route au communistes en Italie, comme dans l'opération Gladio, mais bien d'imposer un style, un rythme, celui du chaos, dans toute sa réalité, afin qu'il s'installe comme la seule vision du monde possible, et donc comme l'unique "réalité", laquelle, bien évidemment, en appelle aux solutions proposées, vendues dans le cadre du scénario.*(1)
La réalité dépasse toujours la fiction ; conséquemment, ce sont bien plutôt l'inconséquence, l'indigence d'esprit, l'impuissance qui s'imposent alors aux populations qui ont à faire avec la situation ainsi générée et qui doivent, de surcroît, sauver ceux qui l'ont appelée.

Dépossédée des moyens de se reconnaître dans ce monde en flammes, la vie réelle contemple le ciel de sa libération prochaine à la mesure de ce qu'elle est totalement colonisée par une sorte d'alien, une étrangeté dans laquelle elle ne reconnaît plus la puissance qui est la sienne, sa propre production donc, qui s'en est détachée à la faveur de ce que, dans la procès de production même, la propriété des moyens de sa production la lui a dérobée.

C'est cette séparation première qui est fondatrice du spectacle, un rapport de forces bien réel, une perte d'autonomie et, aussi bien, de conscience qui lui fait prendre cette force détachée d'elle-même comme une force étrangère, toute-puissante et admirable.

Une vie colonisée a beau être réelle, elle n'en est pas moins étrangère à elle-même, oublieuse de ses sources vives, et totalement conduite sur des traces qui la structurent et la maintienent dans cet état de manque permanent où rien de ce qu'elle est ne peut la soulager, car elle n'est plus rien, du moins - et c'est le plus important, en effet - à ses propres yeux, où il lui faut donc sans cesse épancher sa soif dans l'altération.

 

C'est ainsi, dans ce rapport social, que se dessine toujours plus une autonomisation des processus générateurs de plus-value, qui apparaissent alors comme sans alternative, c'est-à-dire - si l'on en juge par l'étymologie du terme -, sans retour possible à soi, à l'humain - ce que les robots appellent "le retour à la  préhistoire", de ces sombres temps où l'on se passait d'eux et même de l'argent qui les génère et dont ils servent la puissance supposée -.

Cette autonomisation est la logique de la plus grande pente, qu'emprunte toujours le fleuve liquide pour descendre vers le nirvana de son abstraction, que représente en effet l'argent, comme équivalent général, et que rêve d'atteindre chaque robot - un robot rêve, la publicité marchande, chaque jour que le Kapital fait, en témoigne ;  le rêve de la plus grande pente - à l'inverse du saumon, rêvant de retourner à sa source originelle, et s'y employant, contre courants et barrages.

 

Pour autant, à ne trop vouloir considérer que les processus automates qui, certes, servent d'abord leur reconduction, on se laisse abuser par leur simulacre, au point de ne plus rien voir des humains qui se servent au passage du gué, comme de ceux qui souffrent de leur docilité acquise tout au long de la répétition de tant d'évidence.

En un mot, on n'aperçoit plus rien d'une lutte qui continue de faire rage, en chacun de nous, et dont le spectacle se voit être le réceptacle en en inversant le sens, afin que notre haine du spectacle n'émerge jamais que comme spectacle de la haine.

 

 

Bien que la chose soit anecdotique, elle n'en reste pas moins significative de ce "rapport social médiatisé par des images"  : "La tour Carpe Diem est un gratte-ciel en construction dans le quartier de La Défense à l'Ouest de Paris (France) initié par Aviva. (...)  (Source wikipédia)

Le spectacle retourne cet appel à la vie réellement vécue - « Cueille le jour présent » - pour l'inscrire dans la pierre du quartier d'affaires si justement dénommé, comme injonction du capitalisme triomphant, de son arrogante prédation.

Les salariés qui auront à y crever apprécieront la maxime dans toute sa profondeur. Le Kapital, au triomphe duquel ils ont sacrifié leur vie, ne manquera pas de jeter quelques fleurs artificielles sur leur tombe.

Voilà qui, en retour, éclaire les modes d'agir de cette politique en livrée de la finance - laquelle n'a cure des réalités qu'autant qu'elles lui rapportent - : son proconsul, "élu" pour mater ce pays et le dresser à moins d'immobilisme - traduire de rigidité aux diktats de la finance -, spécialiste, en son genre, des bras à la retourne, aura gesticulé en retournant tous les symboles, organisant la confusion pour mieux incarner "la rupture".

Il n'aura pas fallu bien longtemps pour qu'émerge la réalité de cette "rupture" : pente la plus glissante vers les démons naturels de la droite franchouillarde, encouragée de faire étalage de ses plus mauvaises manières jusqu'aux plus hauts échelons de l'État.

 

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NOTES

 

1 - En Égypte, des tensions inter-religions viennent à nouveau d'éclater, à l'instar de celles qui avaient eu lieu à la fin de l'année précédant le départ de Moubarak, déclenchées à l'instigation de ses services de police.

Impressionnés par le fait que ce pays ait, à la faveur de ses récents bouleversements, reconsidéré certaines de ses alliances historiques, certains auront vu la nécessité de redistribuer les cartes d'une "stratégie de la tension". L'actualité doit être le reflet du scénario.

Publié dans De la Représentation

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